dimanche 23 mars 2014

Après le dernier chapitre... la vie va au dernier des mohicans !

A Saint-Nazaire, une vraie librairie, indépendante, a vu le jour 18 mois après faillite d'une autre, fort différente. Mais c'est déjà beaucoup mieux que de devoir choisir entre « un truc qui vend des livres parmi des cacahuètes et des portables » et un autre truc semblable !... 
Au soir du 18 mars, Sarah-de-l'Embarcadère-nouvelle-librairie accueillait Gérard-de-Voix-au-Chapitre-librairie-défunte. Pas un passage de flambeau, mais une présentation de « Dernier chapitre », titre de l'excellent petit livre que Gérard consacre à ses 18 ans de si dures et belles expériences d'artisan-libraire dans ce monde si cinglé du big-business régnant. Il y avait une trentaine de personnes (plutôt 40-50 se succédant sur les 30 chaises) et le débat fut animé. Soit par les quelques-uns qui, fraîchement arrivés, ne connaissaient pas l'ancien libraire, soit par ses habitués et donc amis - comme moi. Nous contenions souvent notre émotion, moins bien que Gérard, maître en la matière, comme le démontre son livre. Je n'ai pu rester jusqu'au bout à tort ou à raison : Je suppose que cela c'est terminé par un bon pot-entre-potes-nouveaux-ou-pas, comme ce fut toujours le cas dans son antre, avant ce « Dernier chapitre », où l'humour a le dernier mot. Car le bougre n'en manque pas comme en témoigne sa dédicace faisant référence à mon carnet-photo « Surprises de Vue » : « Pour Rémi, fidèle parmi les fidèles, ces Vues Sans Surprises mais sans trop de clichés. Amitié ».
Vu l'abondance des bavards, je ne suis intervenu qu'une fois pour citer LA perle du livre : « Sur des salons, certains auteurs se comportent en camelots, racolant les clients à grands coups de ''Elle est fraîche. Elle est fraîche, ma littérature !''. Ça me tape sur les nerfs. Certains libraires se comportent pareil, annonçant péremptoirement : ''c'est ça qu'il faut lire''. Ça m'énerve encore plus. Mon métier ce n'est pas de forcer la main au lecteur, c'est de l'aider à trouver son bonheur ». J'ai insisté sur les deux derniers termes ''son bonheur''. Il y a bien d'autres perles dans le collier de bonheurs qu'est ce livre, survolant tant de soucis quotidiens. En voici quelques unes, choix très subjectif ! Mais sachez d'abord que l'essentiel de l'ouvrage part des notes du libraire-entre-deux-clients, de quelques lignes à une bonne page... car la clientèle fut très élastique et trop faible, surtout en pouvoir d'achat, pour perdurer 18 ans : un exploit d'artisan plus pauvre qu'un RMIste !


* 
Tenir, pour quoi ? Pour faire de la thune ? Ça, non. Je le savais dès le départ. Je n'ai pas fait libraire pour m'enrichir. Sinon j'aurais choisi plutôt la pizza prévomie, la fringue prédéchirée, ou la politique à veste et pantalon multi-retournables. Non : tenir parce que je suis assez con pour croire que le boulot d'artisan que je fais, même s'il ne met pas grand chose dans l'assiette et nourrit plutôt l'ulcère des soucis, apporte ce plaisir incomparable de rencontrer des gens bien, usant de la magie des mots pour dire douceur, tendresse, amour, ferveur, détresse, douleur, horreur, rage, de façon à ce que ça résonne en nous, nous empoigne, nous morde, nous vide, nous caresse, nous exalte, nous grandisse. Et parce que j'espère pouvoir passer un petit bout de ça à d'autres, les curieux, les sensibles, les en quête de...(p.85)

*
C'est la faute à ma maman. Si je n'avais pas, tout gosse, trouvé dans sa vaste bibliothèque Le comte de Monte-Cristo en gros volume illustré, tanné par les lectures, je n'en serais peut-être pas là.(p.15)

*
Moi qui me suis toujours considéré comme un ennemi de l'asservissement des hommes au commerce, je vais maintenant devoir plonger dans les affres du tiroir-caisse. Le veau d'or (qui est toujours de boue) rigole doucement.(p.15)

*
Je chantonne souvent, sans y penser. Les clients me disent : « Vous avez l'air joyeux. » Pas forcément. Je chantonne même quand je suis triste. Je suis, en cela, un tsigane, un peu merle. Chanter n'est pas pour moi une manifestation de gaieté ou de tristesse. Cela fait partie de ce que les revues à la mode appelleraient hygiène de vie. Je chante comme je respire. Et quelquefois, je fais une fausse note ou je tousse, sans souci. Je chante comme chantait mon grand-père dans son atelier ; comme chantaient autrefois les prolos sur les chantiers, et je trouve bien triste que ça se soit perdu. Un vieux syndicaliste pour lequel j'avais une grande tendresse disait, pour m'expliquer ce qui à ses yeux caractérisait le dynamisme du mouvement ouvrier de sa jeunesse : «  On chantait. Oh ! Pas seulement dans les manifs. Sur les chantiers, devant la machine, tout le temps. Tout le monde chantait. On en bavait, mais on chantait. » Oui, chanter, ça faisait partie de la besace à vitamines du prolo. La bourgeoisie ne chantait pas. Elle allait au concert ou donnait un récital au salon avec fifille au piano. Aujourd'hui les prolos bredouillent dans les karaokés et disent en aparté : Je ne sais pas chanter. On a envie de leur dire pour les consoler que les stars du moment ne savent pas chanter non plus. Mais que chanter n'a rien à voir avec être chanteur. C'est laisser sortir la note qui chatouille. C'est se faire plaisir.(p.37)


*
La salle consacrée aux rencontres, je l'ai baptisée salle Louis Scutenaire, et j'y ai affiché une citation de celui qui, pour moi, est un grand bonhomme : « On peut attraper les idées en leur jetant des mots » Pas un des auteurs français que j'invite ne connaît Scutenaire. J'ai grande joie à le faire découvrir. 
J'invite un poète belge : ah ! Scutenaire. Ça fait plaisir. Bravo ! Tous les grands écrivains belges étant considérés français dès qu'ils sont un peu connus, je me dis que Scut' a eu bien de la chance d'échapper à cette malédiction.(p.32)
 
*
C'est un punk, un vrai : rangers, treillis, anneau dans le pif éclaté par les bastons de squats et superbe coupe iroquois. Avec sa meuf et le chien, ça fait des mois qu'ils passent devant la librairie, plusieurs fois par jour, du squat à la manche, de la manche au squat. A chaque fois, elle ralentit le pas, jetant un œil en coin sur les bouquins. Elle a dû finir par le convaincre. Ils ont poussé la porte. Ils explorent. Lui, on sent qu'il en a vite marre, mais elle fouille vraiment. Ça dur. Il décide que ça suffit : bon, ça y est ? J'espère qu'elle a eu le temps de me piquer le livre qu'elle voulait, en espérant aussi que ce ne soit qu'un poche. Mais c'est lui qui s'avance vers la caisse, avec l'air du bûcheron qui a mal digéré son mélèze, et qui me tend un livre qu'il paye ! 
C'est Le dernier des Mohicans.(p.20)


Liens : 
L'embarcadère  



Sous l'casque d'Erby 


12 commentaires:

  1. Un coup d'insomnie pile pour découvrir la parution de mon article. Merci lediazec et bravo à Erby !
    Gérard m'a confié qu'il était en ce moment au "salon du livre". Je suppose qu'il a plein de contacts à renouer et qu'il ne va pas trop chanter aux visiteurs "elle est fraîche ma littérature!", encore que ce soit le cas et qu'il chante bien !
    Je sais qu'il est curieux de lire mon commentaire et mon choix : je lui ai montré ma liste de présélection d'une vingtaine de citations !

    si vous êtes tenté de lire Dernier chapitre, je souhaite que vous évitiez de le faire par internet (qui tue les artisans libraires) mais par votre libraire préféré ou par "l'embarcadère" (qui en a un stock) ou encore par l'éditeur (voir le lien "ou va t'on?") qui est un des nombreux petits éditeurs courageux, lui situé à Nantes.
    Bon dimanche entre deux giboulées de mars !

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour les caillasseux. Temps Clochemerle !
    Un livre, des livres et un poids à porter, c'est le lot de chacun, comme si magnifiquement résumé chez les cafards : Le poids de la culture
    Zyque du jour : Woody Gunthrie

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bon choix de zyque, suivant les goûts - très éclectiques ! - de Gérard en ce domaine. D'ailleurs, lors de soirées dans la salle Scutenaire, il grattait et chantait volontiers "à la Woody Gunthrie"...

      Supprimer
  3. je vais relire ça tranquillement, je file tenir un bureau de vote. Beau dimanche aux caillouteux

    RépondreSupprimer
  4. Une belle page en ces jours du Salon du Livre à Paris.

    RépondreSupprimer
  5. En ce dimanche électoralissime, où la comprenette semble s'être fait la malle avec tout son arsenal, il est bon de s'attarder sur des réflexions qui n'ont pas été tapées par les doigts d'un manchot : De la technique, pour quoi faire ? Lecture.

    RépondreSupprimer
  6. On est sous la neige, à Zermatt, chez le fiston, mais je pense qu'on pourra rentrer la semaine prochaine ! Bonne fin de dimanche...

    RépondreSupprimer
  7. Salut Erby, salut à tous ! Je viens de voir une photo : tu as peut-être croisé mon copain Naoto Matsumura, qui après avoir manifesté sur le Rhin avec beaucoup d'autres, fait une conférence au parlement de Strasbourg le 11, jour anniversaire, a continué son périple en Allemagne et en Suisse : la photo le prend au mont Cervin. Il rentre aujourd'hui au Japon, pour retrouver ses animaux à soigner et nourrir à 15 Km seulement de la centrale de Fukushima. Il se sait condamné bien sûr.

    RépondreSupprimer
  8. dommage que... Sarah de "l'embarcadaire" soit sur la liste de monsieur Samzun aux municipales. Ah dame faut bien faire marcher la boutique et le clientélisme fonctionne si bien sur ce bout d'estuaire
    ;-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bien d'accord sur ce point... on en reparlera après le 2°tour. Je hais le clientélisme, déteste depuis 50 ans le PS et ce Samzun a une tête à claquer à perpète (car je suis contre la tête à guillotiner depuis toujours). Mais ce bout d'estuaire a bien de la poésie, spa?

      Supprimer
    2. Ah, mais Rémi est là ! Je me faisais du mouron pour lui ! Même les municipales le font réagir ! Garçon, tournée générale !

      Supprimer
  9. Oui Rémi, ce bout d'estuaire a de la poésie et celle-là, elle est libre comme les vents contraires qui agitent les vagues, les nouvelles et aussi les plus anciennes qui se fracassent sur la raison, que dis-je, la déraison d'exister.

    RépondreSupprimer